Le manioc représente un aliment de base pour la plupart de ses populations africaines, au point que certains pays d’Afrique de l’Ouest ont le mérite d’être appelés “pays du manioc” du fait de leur productivité et action de promotion. Il s’agit du Nigéria, du Ghana, de la Côte d’Ivoire et du Bénin qui ont fait de ce produit une filière avec des productions respectives de 55 000, 19 139, 5367 et 4.150 Tonnes l’année dernière.
En plus d’avoir plusieurs produits dérivés, le manioc regorge un fort potentiel nutritionnel et commercial, susceptible de contribuer doublement à l’amélioration des régimes alimentaires des peuples et à la réduction de la pauvreté. Notons que le Continent aurait totalisé à lui seul plus de la moitié de la production mondiale, soit 155.962 Tonnes contre 277.957 en 2017. On comprend alors la place qu’occupe le manioc dans les habitudes alimentaires de l’Afrique subsaharienne au regard de ces chiffres, et comment il peut participer à équilibrer les tendances socioéconomiques de ses habitants les plus vulnérables.
Dans le cadre de cette étude, nous nous focaliserons sur le traitement de la filière Manioc au Bénin. En effet, la culture du manioc est rentrée dans le quotidien des béninois il y a un siècle environ. Compte tenu de la forte croissance de la demande locale et sous régionale, des programmes d’appui à la valorisation de cette culture n’ont cessé d’être explorés depuis les années 1990 jusqu’à ce jour. En termes de choix culinaire et agricole dans le pays, cette plante à racine alimentaire serait la 2ème plébiscitée après le maïs [Nago 1989]. D’ailleurs, l’Office National d’Appui à la Sécurité Alimentaire (ONASA) et la Direction de l’Analyse, de la Prévision et de la Synthèse du Ministère du Développement Rural (DAPS/MDR) rapportent qu’en 1990, un habitant aurait atteint la consommation annuelle de 104 kg, 94 kg, 42 kg et 17 kg respectivement dans le Sud, le Zou, le Borgou et l’Atacora. De ce fait, le manioc a été introduit comme fière par l’Etat béninois, à travers le Plan Stratégique de Relance du Secteur Agricole (PSRSA).
Origine
Le manioc, Manihot esculenta, aussi appelé yuca ou tapioca, tire ses origines d’Amérique centrale et du Sud, précisément du sud-ouest du bassin amazonien. Il appartient à la famille des Euphorbiaceae, de l’espèce des plantes dicotylédones. Importé en Afrique au XVI siècle par les Portugais selon certaines sources, il représente la potentielle source énergétique des styles alimentaires des populations des zones tropicales et subtropicales. Pour exemple, un hectare de manioc cultivé donnerait 8,2 millions de calories et, seulement 3,3 millions pour le maïs, pour la même superficie. En outre, plus de 420 millions d’habitants de 26 pays tropicaux auraient été comblés en teneur calorique, explique S.K. Hahn (1979).
L’agro-ethnologue M. MIEGE soutient pour sa part que le manioc aurait été ramené sur le Continent, précisément en Afrique de l’Ouest par des africains venus du Brésil, d’où ils auraient emprunté la technique de transformation en gari, dite “farinha” chez ceux-ci. Par opposition aux autres produits vivriers issus de la civilisation tels que le riz, le sorgho, le mil, la banane plantain ou l’igname, celui-ci estime que le yuca n’a été adopté que très tard comme plante vivrière [Le LARES, Professeur John IGUE].
Selon l’Étude de la FAO précitée, le manioc est un aliment vital pour ~500 millions de la population des pays en développement, dont 80 millions pour la zone ouest-africaine. S’agissant du Bénin, sa culture a pris de l’envol sous GUEZO (9ème Roi d’Abomey-actuel Bénin), du fait de la sécheresse 1847 à 1850, ayant touché les autres cultures. Paradoxalement, ce n’est qu’en 1975 qu’elle est devenue génératrice de revenus grâce à la forte demande du Niger et du Nigéria où résidaient des béninois attirés par la situation économique de ces derniers (boom des matières premières).
Le manioc est un arbuste d’environ 5 m avec des ramifications en trois parties, faites de rameaux souples, rattachés à une écorce lisse de couleurs blanc crème ou brun foncé. Par extension, sa plante, sa racine et la fécule qui en découle sont également appelées du même nom “manioc”.
Le manioc, une filière porteuse
L’intéressement à la plantation du manioc est devenu croissant dans le pays après la dévaluation du Franc CFA. Dès lors, les superficies et les productions ont connu une augmentation significative respectivement 5,6% et 9,4% pour les campagnes agricoles des années 1995-1997. Au fil des années, la demande croissante en besoin de cette filière ne suffit toujours pas à satisfaire les populations d’autant plus que les enjeux majeurs du développement de cette culture visent l’amélioration de vie des ménages, la sécurité des revenus des producteurs, la création d’emploi et la couverture du marché extérieur. Le manioc est un arbrisseau à usage varié. Ainsi, de la racine à la plante, elle peut subir plusieurs techniques de transformation utiles pour les besoins d’alimentation des humains et du bétail (Produits de Substitution des Céréales-PSC). Cette amplification de richesse du manioc a motivé le Gouvernement béninois à se doter d’un Programme de Développement des Racines et Tubercules (PDRT, 2001-2008) pour atteindre des objectifs qualitatifs et quantitatifs sur cette spéculation. Malheureusement, la courbe croissante de productivité observée en jusqu’à la fin des années, a régressé progressivement de 2003-2007. Ainsi, sur 3.055.523 Tonnes réalisées sur une superficie de 237.892 ha en 2003, la production du manioc et la superficie correspondante auraient chuté respectivement de 2.804.734 T (2007) et 220.432 ha (2006), annonce Moussa Bello, un chercheur agronome. Cette baisse significative serait doublement due au manque de marchés potentiels sur le plan international et à la concurrence des pays limitrophes, lesquels sont aussi producteurs de manioc.
Des dérivés du manioc pour plus de débouchés et de meilleurs revenus
Du manioc, découlent plusieurs produits alimentaires et commercialisables. Comme dans la plupart des pays africains, il est transformé soit en cossettes, en farine de cossettes, en attiéké, en tapioca, en amidon et surtout en gari. Notons que le manioc peut être conservé plusieurs mois sous terre, une fois arraché, il doit être transformé dans les 3 jours suivants, sinon il peut engendrer des pertes à 100% des récoltes. Au Bénin, la transformation en “gari” est en tête de liste parce qu’elle est plus consommée, économique et vendue, même si elle est sujette à beaucoup de contraintes. Notons que la réputation du gari béninois n’est plus à faire, elle a dépassé les frontières du pays. La transformation annuelle en gari équivaut à 600.000 T de manioc. Aussi, ce marché est dominé par des Groupements de Femmes transformatrices, lesquelles sont généralisées peu ou pas instruites.
Sur un échantillon de commerçants, grossistes, semi-grossistes et détaillants, il ressort que les contraintes relatives à l’approvisionnement, aux moyens financiers, à l’écoulement, au prix, aux infrastructures, aux pertes, à la santé et à d’autres faits seraient respectivement de l’ordre de 22%, 16%, 16%, 15%, 11%, 9%, 8% et 7%. [2013, Rapport sur les marchés du manioc et du “gari” dans le Sud et au Centre du Bénin]
D’après des travaux réalisés par le GERAM sur la filière du Manioc au Bénin, les prix de gari varient suivant leur qualité et leur conditionnement. Celui vendu dans les rues est estimé à 126 Fcfa/kg. Celui qui est commercialisé en grandes surfaces cotonoises (supermarché) coûte entre 375 et 550 F cfa/kg. La région de Savalou produit aussi du gari de bonne qualité, coûtant 400 Fcfa/kg. Il peut augmenter à 850 Fcfa/kg quand leur préparation a nécessité du sucre, du lait concentré, du lait de coco, du jus de citron ou des graines d’arachide [Groupement des femmes de Wadokpo]. Cette dernière variété de gari est réservée aux familles aisées.
L’amidon issu de Manihot esculenta peut être utilisé dans les industries du bois, alimentaire (biscuiterie, confiserie), textile (pour fortifier ou épaissir les vêtements) ou du papier (colle à papier). Ce sont des niches d’emplois à explorer pour mieux positionner cette filière au profit de l’Etat et des transformateurs, malgré la concurrence des marchés étrangers.
Le manioc comme aliment de bétail est encore mal vu au Bénin d’un point de vue culturel, il serait réservé à l’alimentation des hommes. Si dès 1995, la Caisse Française de Développement (CFD) proposait déjà cette option pour valoriser le manioc et ses dérivés à l’international qui s’est soldée par un échec, il n’y a visiblement pas eu de changement significatif en termes de revenus à propos, jusqu’à ce jour. D’ailleurs, l’Afrique gagnerait beaucoup du fait de sa position géographique à desservir l’Europe (demandeur avéré) en cossettes de manioc pour alimenter les animaux.
La fécule, farine de cossettes ou de manioc (foufou), la décoction de ses racines et feuilles serviraient aussi en industrie cosmétique que chimique. Développer des techniques favorisant de nouvelles activités génératrices de revenus comme la création de savons à base de farine de manioc, la conception de la colle ou des piles, serait un plus pour cette filière et ses sujets.
Autres atouts et valeur nutritive
Rien ne se perd dans le manioc, tout est comestible et se transforme. Sa culture ne demande pas beaucoup de technicité, la saison des pluies suffit à l’épanouir, elle donne toujours un rendement. Elle s’adapte aux conditions climatiques du milieu et ne craint pas la sécheresse. C’est un végétal économique, pouvant être associé à d’autres cultures comme le sésame, le sorgho, le maïs et nécessite peu d’intrants. D’ailleurs en Asie, les ruraux substituent la plantation des céréales au manioc, parce qu’elle utilise moins de superficie pour de bon rendement à l’hectare. Les feuilles fraîches ou séchées (destinées aux résidents à l’étranger), sont pilées et servent de légumes pour cuisiner une sauce aux feuilles de manioc nommée “saka-saka ou pondu” (plat culte dans les 2 Congo). Elles contiennent du calcium, du phosphore et beaucoup de protéines. Le manioc frais ou sec est riche en glucides. Ses racines vieilles de plus d’un an renferment 25 à 35% d’amidon. La fécule de manioc regorge aussi des vertus pharmaceutiques, on l’utilise pour la fabrication des comprimés. Les tubercules consommés frais contiennent des glucides et sont donc source d’énergie. Trempés dans de l’eau, ils sont transformés en pâte qu’on renferme dans des feuilles ficelées et cuite à la vapeur. On obtient alors l’aliment de base, qu’on appelle manioc ou baton de manioc (Cameroun). Il regorge seulement 1,5% de protéines et 60% d’eau. L’amidon qui en découle sert à la fabrication de l’alcool pharmaceutique, à épaissir les soupes d’une part et à la production du Tapioca. La semoule de manioc “gari” est un atout pour la sécurité alimentaire des ruraux et urbains, car il est consommé par toutes les couches sociales du pays. Sa teneur en vitamine A et en protéines a été révisée par l’IITA, par l’adjonction du soja et d’huile de palme [Département de Nutrition et Sciences alimentaires de la Faculté des Sciences Agronomiques de l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin, en collaboration avec l’IITA du Nigéria]. Sa valeur économique, sa capacité de stockage, sa durée de conservation et sa cuisson rapide et son goût lui permettent de concurrencer le riz, le mil, le sorgho ou le maïs, lesquels sont chers et demandent beaucoup de technicité de conservation. Le fufu ou lafun, poudre sèche ou pâteuse obtenue à partir des cossettes de manioc est très apprécié pour ses qualités gustatives, sa facilité de conservation et de préparation, par plusieurs peuples d’Afrique (centrale, Sahel, Ouest). Il occupe la 2ème place dans les habitudes culinaires des habitants après le gari. Le tubercule de manioc est riche en calories par rapport au riz, il donne un effet de satiété, mais ne contient pas assez de protéines. Par contre la consommation de ses jeunes feuilles et tiges, permettrait un régime alimentaire équilibré.Le parcours alimentaire des enfants à base de manioc doit être associé aux céréales et légumineuses pour renforcer le manque de protéines, de substances minérales (fer, phosphore, calcium…) et de vitamines (A,B,C,D, E…) dont l’organisme a besoin pour être à l’abri de la malnutrition.
AgriAction est une initiative qui vise à vulgariser les résultats de la recherche agricole auprès des agripreneurs, afin de les sensibiliser sur la production et consommation des cultures locales à forte valeur nutritive et génératrices de revenus, dont le manioc. Après une collecte des données, nous avons réalisé l’infographie ci-dessus que nous mettons à disposition des agripreneurs, chercheurs, acteurs du développement, entreprises et citoyens, dans le but de promouvoir ce fruits comme alternative pour améliorer la sécurité alimentaire du Pays.